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lundi 1 avril 2013

Citations, en-veux-tu ?


Roland Barthes, 1915-1980
(Il est intéressant de noter qu'il est mort des suites d'un accident alors qu'il se rendait au Collège de France pour y faire cours, alors qu'il comptait bientôt se mettre à écrire... un roman. Eh oui, le plus grand structuraliste et sémiologue français, l'un des plus grands critiques littéraires de France, peut-être le plus grand, comptait enfin se lancer dans le roman. On ne saura jamais ce que ça aurait donné...)

Aujourd'hui, je suis là pour vous faire partager une de mes citations favorites de Barthes, qui résume assez bien sa thèse la plus célèbre :


[la littérature, ou le texte (c'est la même chose) est] : 


« un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des écritures variées, dont aucune n’est originelle : le texte est un tissu de citations, issues des mille foyers de la culture. […] l’écrivain ne peut qu’imiter un geste toujours antérieur, jamais originel; son seul pouvoir est de mêler les écritures, de les contrarier les unes par les autres, de façon à ne jamais prendre appui sur l’une d’elles » 


Histoire de vous éclairer un peu la pensée de Barthes : la littérature n'est jamais qu'un patchwork de citations antérieures. Chaque fois qu'on écrit, on écrit avec des mots chargés d'histoire. On peut inventer des manières d'écrire, mais on n'invente pas des mots. Celui qui croit que les mots lui appartiennent serait bien fou ! Que ce soit consciemment ou inconsciemment, on emploie des mots qui ont déjà été maniés par d'autres écrivains avant nous. Parfois ce sont des expressions, voire des phrases entières. On en arrive alors à ce fameux "tissu de citations". La matière est déjà présente, immuable. Ce qui nous revient, c'est de décider comment coudre ce tissu, selon quel ordre (ou quel désordre) le confectionner, le plier, l'orner... 



Il en découle automatiquement qu'il n'y a pas d'écriture "personnelle". Eh oui, c'est la fameuse MORT DE L'AUTEUR (en tant qu'institution).





Le texte prend son envol, il n'y a que les mots qui soient libres. L'auteur n'est plus qu'un agent. Nous, quand nous écrivons, nous sommes pétris de tout ce que nous avons lu avant d'écrire. Si bien que notre écriture, ce n'est jamais que le mélange de tout ce que nous avons lu.

Donc JE en tant qu'écrivain n'existe pas. L'écriture est plurielle ; dans mon écriture, il y a tous les écrivains que j'aie jamais lus qui grouillent, fourmillent, se mélangent, et ça va de Victor Hugo à la pub que j'ai lue dans le métro ce matin même.


Barthes ne dit pas que l'auteur n'a pas de subjectivité.

Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que Barthes prône une nouvelle manière de lire les livres : ne plus les classer selon leur auteur, qui est un "cran d'arrêt" qu'on leur impose, et qui réduit le champ des possibles du texte (etc, faire une interprétation psychologique d'un texte en disant qu'il s'est passé telle chose dans la vie de l'auteur et que par conséquent ça explique telle manière de décrire tel paysage, telle manière d'envisager les rapports sociaux, etc.).
Le texte est un produit du monde, beaucoup plus que mon produit en tant qu'auteur. Il est le produit d'un tas d'inconscients langagiers, de choses qui m'ont influencé à mon insu... mon texte peut même se rattacher aux haikus japonais même si je n'en ai jamais lu, parce que j'ai peut-être lu des auteurs qui eux, ont lu des haikus japonais, et en ont été influencés, si bien que ça se sent presque imperceptiblement dans leur écriture, et que ça s'est infusé en moi à nouveau... 


Ainsi se baladent les mots, de culture en culture, de texte en texte. A chaque fois qu'un mot apparaît dans un nouveau texte, il gagne des nouveaux sens, telle une boule de neige qui grossit à mesure qu'elle roule (bon, ça c'est une image de Bergson, pas de Barthes, mais c'est la même idée).

Il en découle également qu'il n'y a pas UN texte originel qui précède tous les textes. Tous les textes, en fin de compte, appartiennent au même patchwork universel.


La citation que j'ai fait figurer est issue du Bruissement de la langue.




Ce que j'ai lu de Barthes & que j'adore :


 



Ce que je lis en ce moment de Barthes :





Un autre grand critique auquel Barthes me fait penser :



Umberto Eco, né en 1932.

L'idée la plus célèbre chez Eco découle assez du même principe (le tissu de citations, tout ça, c'est très à la mode depuis les années 1960, et à vrai dire ça figurait déjà chez Proust).

En gros, chaque auteur, chaque lecteur (bref chaque personne) porte perpétuellement en elle une BIBLIOTHEQUE. Chaque fois que nous écrivons, nous écrivons avec des mots que nous avons rencontré ailleurs, et qui viennent enrichir le sens du texte que nous écrivons, en faisant référence à d'autres textes (on appelle aussi ça l'hypertextualité). Et quand nous sommes lecteurs, nous décodons inconsciemment les mots dans les textes selon un répertoire de références qui nous sont propres.
Donc plus notre bibliothèque est grosse, plus nous sommes capable de repérer les références, et plus notre langue est riche !


L'oeuvre la plus célèbre d'Eco, qu'il faut que je le lise en entier un de ces quatre :




Oeuvre ouverte évidemment, puis qu'elle est sans cesse "référence à" et "référence de". Une oeuvre n'est jamais fermée sur elle-même, puisqu'elle fait partie d'un texte bien plus grand.


Avez-vous aimé cet article, ou trouvez-vous qu'il fait un peu trop "je révise pour mes partiels de litté" ? J'espère que c'était fluide en tout cas, et que vous avez bien compris mon résumé.



Bisous bisous, all of you !
Alacris.

6 commentaires:

  1. Super article, vraiment ! Tu me donnes envie de m'intéresser à ce critique du coup ;) Il me semble bien que tu m'en avais déjà parler d'ailleurs >< Y a tellement de livres que j'aimerai parcourir en même temps...Pourquoi est ce que l'on est obligé de dormir alors que l'on pourrait s'enrichir considérablement avec ce genre de lecture :D
    Sinon je n'ai pas trouvé ton article trop "je révise mes partiels" après c'est peut être du au fait que je suis moi même en Lettres xD Enfin bon, c'était une bonne idée en tout cas.
    PS: je viens de voir tes 13 coms sur mon blog O_O c'est trop gentil merci <3
    Bisous n_n

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  2. Ce n'est pas indigeste, c'est intéressant de découvrir les théories de Barthes (je connaissais déjà celle de Eco pour en avoir parlé surun forum) et je préfère Eco en fait, parce que je le trouve (dans ses bons jours) plus facile à comprendre pour ma tête pleine de vent.

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    1. J'ai l'impression qu'Eco est moins jargonneux en fait. Enfin, une fois qu'on a lu un peu de Barthes, on prend ses repères et on se rend compte que tout son système est extrêmement simple (ce qui ne le rend pas moins intéressant), donc c'est vraiment une question de mise en selle. Je n'ai pas assez lu d'Eco pour comparer, souvent des idées par-ci par-là que mes professeurs évoquent en classe, mais c'est certain qu'il faut que je m'y mette :)

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    2. Tu as un "essasi" enfin une conversation essaique que Eco a eu avec Jean-Claude Carrière, N'espérez pas vous débarrasser des livres, que je pense est une bonne introduction à sa pensée :)

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  3. Cet article est fait d'or, je n'ai pas pensé que c'était un partiel :) Au contraire, j'ai vraiment apprécié ce résumé de la pensée de Barthes. Je ne peux qu'approuver ces propos ; tu as formulé clairement un grand nombre de choses que j'ai ressenti dans le passé, mais jamais "rationalisé". Bref, un petit bijou !

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    1. Merci beaucoup, c'est très encourageant pour moi qui commence ce blog et ne sais pas encore trop quelle en sera l'atmosphère. Je penserai à faire plus d'articles comme celui-ci, alors ! =)

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«Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire»
Maurice Blanchot

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