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lundi 21 octobre 2013

"We are such stuff as dreams are made on", Chronique de The Tempest, Shakespeare

Prospero, Henry Fuseli


"We are such stuff as dreams are made on" IV, 1.

  Dernière pièce de Shakespeare, jouée en 1611, The Tempest est une tragédie pleine de surprises - ou plutôt, une tragicomédie. En effet, retournement de situation, après tant de pièces aux ressorts terribles (on se souvient du "deed" de Macbeth et des mains couvertes de sang de Lady Macbeth, du fratricide à l'origine de Hamlet, ou encore de la passion meurtrière dans Othello), la dernière pièce de Shakespeare est étrangement... exempte de morts et de conspirations terribles. Il y a certes conspiration, trahison, et même vengeance (la tempête elle-même, qui donne son nom à la pièce, est causée par Prospero afin de punir ses ennemis), mais dans l'ensemble, le déroulement de la pièce est singulièrement doux. A ce titre, elle m'a presque fait penser au Songe d'une nuit d'été, qui elle aussi était une pièce où le féérique occupait la première place, et où les diverses querelles se résolvaient sans causer de heurts.

  Il y a bien des ressemblances avec le Songe d'une nuit d'été, notamment tout le parallèle entre un personnage surpuissant (ici, Prospero, sorcier confirmé) qui dirige de nombreux autres personnages qui semblent être ses sous-fifres, et... le statut de dramaturge.

"O brave new world
that has such people in't" V, 1

Miranda, John William Waterhouse

  Douze ans avant le début de la pièce, Prospero a été victime d'une conspiration nourrie par son frère qui lui enviait son statut de Duc de Milan, et le roi de Naples. Laissé à la dérive sur un radeau avec sa fille Miranda, il a fini par échouer sur une île dont il s'est rendu maître, traitant le seul natif de l'île (Caliban) comme son esclave, et portant secours à Ariel, un esprit des airs, qui est devenu son serviteur en remerciement. Douze ans plus tard, Prospero a enfin l'occasion de se venger : ses anciens ennemis passent en bateau non loin de l'île, et il déclenche une tempête pour qu'ils échouent et se retrouvent à la merci de lui et de ses sorts. Ariel l'aide dans ses desseins afin de gagner sa liberté, tandis que Caliban, adoptant l'attitude opposée, ne cesse de se rebeller et se fait des amis des ivrognes du bateau afin de conspirer contre Prospero (pendant comique de la pièce par rapport à la conspiration plus sérieuse nourrie par les nobles, qui eux, ont vraiment réussi à exiler Prospero).

Prospero et Ariel, William Hamilton
  Prospero se moque bien de tout ça. Le fils du roi Alonso, Ferdinand, échoue sur l'île lui aussi, et il est très content de voir sa propre fille, Miranda, et Ferdinand tomber amoureux très rapidement ; c'est le couple de jeunes premiers un peu inévitable de la pièce. On a un Ferdinand très courtois, et une Miranda naïve et pleine de charmes, même si elle parvient à temporairement renverser son rôle de temps en temps, en se montrant plus dure ou plus sexuellement ouverte que ce à quoi on pourrait s'attendre (elle propose notamment à Ferdinand d'être sa maîtresse si jamais il ne veut pas l'épouser). Mais ces jeunes premiers ne sont jamais que les pions de Prospero ; de manière générale, tous les personnages sont les pions de Prospero, et l'île est son échiquier géant. Ce qui rend les personnages de la pièce difficiles à aimer, d'ailleurs : d'un côté on a Prospero qui est au-dessus du statut de personnage, car il est un metteur en scène, un dramaturge sur scène... et de l'autre côté, on a tous les autres personnages, qui sont des sous-personnages car il est évident que leurs moindres faits et gestes, leurs pensées, etc., sont commandés par Prospero. 

"Our revels now are ended. These our actors, 
As I foretold you, were all spirits and 
Are melted into air, into thin air: 
And, like the baseless fabric of this vision, 
The cloud-capp'd towers, the gorgeous palaces, 
The solemn temples, the great globe itself, 
Yea, all which it inherit, shall dissolve 
And, like this insubstantial pageant faded, 
Leave not a rack behind" IV, 1.

  Honnêtement, ce qui m'a le plus séduite dans cette pièce, c'est toute la métonymie du théâtre sur scène. J'ai un faible pour les mises en abyme, et évidemment, là, j'ai été servie. Si on retire cette métonymie, la pièce n'a franchement pas de quoi rivaliser avec les grands chef-d'oeuvres de Shakespeare (et certainement pas avec King Lear, ma pièce favorite entre toutes comme vous le savez peut-être déjà). Très peu de suspense, on se doute du déroulement et de l'aboutissement des choses dès le début... pas de sentiments violents ni de déchaînements époustouflants. Non, c'est surtout l'histoire d'une vengeance qui se termine "bien", et en quelque sorte, une parodie de tragédie... les personnages essentiellement comiques comme Caliban, Trinculo, et Stephano (autant de bouffons ou de fous, d'ailleurs), ont bien plus de substance que les personnages potentiellement dangereux comme Alonso, Sebastian, et Anthonio, qui ont causé l'exil de Propsero. D'ailleurs, Caliban est un personnage plutôt limite, dont on pourrait dire de manière anachronique qu'il questionne presque la légitimité du colonialisme, dans la mesure où il représente la nature dénaturée par Prospero, qui l'a mis à son service en arrivant sur l'île, et lui a appris le langage de la servitude... et en même temps, Caliban est un personnage dont le discours est très poétique quand il met sa fureur de côté, donc il est capable de détourner ce langage de servitude que Prospero lui a inculqué.

"Those are pearls that were his eyes" I, 2.

Ariel, Henry Fuseli

 Il y a bien un personnage un peu plus "limite" dans la pièce, le seul personnage vraiment intéressant avec Prospero et Caliban selon moi, dans la mesure où tous les autres sont des accessoires : je veux bien sûr parler d'Ariel, sorte d'esprit des airs, fée mâle, androgyne s'il en est, capable de se transformer en harpie, mais aussi de jouer des airs enchanteurs... Ariel est l'instrument principal de Prospero ; sans lui, les pouvoirs de Prospero ne sont guère étendus. Et en même temps, Ariel est lié à Prospero par la magie, il est son serviteur et ne peut s'échapper. Prospero a donc tous les pouvoirs sur lui, et on ne peut pas vraiment dire que Ariel fasse concurrence à Prospero ; toutefois, un peu dans le même cadre que Puck dans le Songe d'une nuit d'été, Ariel est l'agent principal de la pièce.




  Et pour terminer, je vous mets ce trailer de The Tempest, 2010, avec Helen Mirren dans le rôle de... Prospera (oui, ils ont travesti de le personnage principal !), et Ben Wishaw dans celui d'Ariel. Je n'ai pas encore vu ce film, mais il me tarde (surtout que j'adore ces deux acteurs).



lundi 14 octobre 2013

Le tag Harry Potter !



Coucou tout le monde !
Bon alors, tout d'abord, désolée pour cette absence de nouvelles pendant dix jours sur le blog (même pendant les vacances d'été je n'avais pas fait de pause aussi longue je crois...), et sur les blogs des autres d'ailleurs (même si là-dessus je suis déjà plus à jour, seulement une semaine d'articles à rattraper, soit... une trentaine d'articles, ouais, c'est jouable). Je vous explique le pourquoi du comment à la fin de l'article =) 

Sinon, ça faisait un moment que le tag Harry Potter me faisait de l'oeil : à l'origine c'était un tag qui se baladait sur Youtube et que Matilda a fait dans cette très chouette vidéo, puis Jamestine l'a repris dans ce très chouette article il y a environ cinq cent ans, et comme j'ai toujours trois trains de retard, je me suis dit que je serais fidèle à ma réputation si je reprenais ce tag maintenant. Allons-y !

[Les spoilers sont à surligner]

Votre tome préféré de la série

Quand j'étais plus jeune c'est longtemps resté le 3, puis le 5 est sorti et c'est devenu le 5, puis le 6 est sorti et c'est devenu le 6, et le 7... bah finalement, je préfère le 6. Enfin, j'adore le 7 aussi (que je n'avais pas beaucoup aimé à ma première lecture d'ailleurs, c'est drôle), et actuellement ce doit être mon deuxième préféré après le 6, et le 5 n'est plus du tout mon préféré (je l'ai lu en pleine crise d'ado, je m'identifiais à Harry version emo je pense) même si... je les adore tous !
Mais enfin bref, pour trancher, mon préféré c'est le 6. Avec toutes ces aventures dans la Pensine, les Horcruxes... et puis surtout parce que Dumbledore est à l'honneur, et qu'il devient beaucoup plus réel que quand c'était juste le lointain patriarche.

Le tome que vous avez le moins aimé

C'est... impossible à élire. Je les ai tous adorés. Certes il y en a pour lesquels j'ai eu des coups de coeur encore plus forts, mais il n'y en a aucun dont je me dis "Tiens, celui-là je l'aime moins". C'est vrai que les deux premiers sont moins tumultueux que les trois derniers par exemple, mais ils sont aussi extraordinairement bien ficelés, et puis l'univers se met tranquillement en place... il y a tellement de personnages, tellement d'infos accumulées dans les derniers tomes, que ç'aurait été impossible de commencer avec des tomes construits pareillement, ce serait un vrai casse-tête à lire. D'autre part, même s'ils ont l'air plus "simples" à première vue, une fois qu'on a lu la série entière, on repère énormément de détails dans les premiers tomes qui annoncent déjà tel ou tel grand événement dans les derniers, donc je ne dirais pas qu'ils sont moins riches ou moins profonds. Et puis il y a le plaisir de découvrir le monde des sorciers, les cours sont très décrits... non, vraiment, même si les deux derniers sont mes préférés, je ne peux pas dire qu'il y en a que j'aime moins, car ils se complètent les uns les autres.

Votre film préféré

J'hésite entre d'une part, le 1 et le 2 que je place un peu dans le même sac parce que c'est le même réalisateur et qu'il y a un côté très fidèle à l'oeuvre (les MUSIQUES, tout simplement parfaites), et le 6, qui pour le coup a une ambiance très différente mais que j'ai trouvé très bon (et pourtant, je me méfiais, parce que j'avais détesté l'adaptation du 4, et je n'étais même pas allée voir celle du 5 tellement ça me blasait, et je ne compte pas voir l'adaptation du 5, jamais de la vie, parce qu'il paraît que c'est la pire et comme le 5 a été mon préféré pendant très longtemps, je n'ai pas envie de m'en dégoûter). C'est assez amusant parce que tout le monde déteste l'adaptation du 6 en général. Je ne l'ai pas revue depuis qu'elle étais sortie au ciné, il faudrait que je la revoie pour expliquer en quoi exactement je l'avais trouvé bonne, mais de manière générale, la rencontre avec Slughorn, le caractère des personnages, et la caverne à la fin, c'est exactement comme j'avais imaginé les choses, et j'ai trouvé que le ton du film était très juste par rapport au ton du livre. 

Les parties des livres/films qui vous ont fait pleurer

Spoiler à surligner : La mort de Dobby. Et la mort d'Hedwige qui m'a totalement prise de court aussi x). / fin du spoiler Il a dû y en avoir plein d'autres, mais c'est le seul épisode auquel je pense là, maintenant, tout de suite (il faut dire que j'ai lu les livres quinze à vingt fois chacun, et je ne pleure pas forcément à chaque fois, donc c'est dur de me souvenir ce qui m'a le plus émue à la première lecture).


Votre personnage favori

DUMBLEDORE ! Et ce qu'on en apprend dans le tome 7 ne m'a pas amenée à le renier, loin de là. Sinon, dans l'ensemble, j'ai beaucoup de personnages préférés : je me sens évidemment très proche de Harry, mais aussi de Lupin, Sirius, Hermione et Ron bien sûr... McGonagall, Rogue, Fol Oeil... J'aime tant de personnages que c'est difficile de répondre.

Quelle serait la forme de votre Patronus ?

J'hésite entre une chouette et un chat de gouttière. Une chouette, parce que c'est mon animal fétiche, l'emblème de la sagesse, et que j'en fais collection (en statuettes hein, pas des vraies chouettes). Mais je pense que ce serait plutôt un chat : plus proche de ma personnalité, et puis dans ma famille j'ai grandi avec un chat qui a à peu près mon âge et qui est littéralement mon alter ego : caractère de merde, griffe dès qu'on le touche, ne sait pas miauler donc se tait, fixe les gens pendant des heures sans bouger en leur filant les chocottes... (bon rassurez-vous, je suis un peu moins tarée que mon chat, tout de même). Donc bon, je pense que mon patronus serait un chat : discret, furtif, efficace, et qui sait montrer les crocs quand il faut.

Baguette de Sureau, cape d'invisibilité ou Pierre de Résurrection ?

Sans hésiter, cape d'invisibilité. D'une part, les gens qui ont la baguette de sureau ou la pierre de résurrection semblent ne pas avoir des destins très enviables, et d'autre part... attirer la bagarre en me vantant d'être la plus forte ne m'intéresse pas, refuser de tourner la page sur le passé en vivant dans le fantasme des morts ne m'intéresse guère non plus... tandis qu'avec une cape d'invisibilité, on peut tout faire, tout observer, et on ne prend pas autant de risques. D'ailleurs la cape d'invisibilité, de même que la Pensine, c'est un peu la métaphore du lecteur : celui qui observe sans être observé, le voyeur... en tant que lecteurs, c'est un peu normal qu'on se dirige tous vers cette relique-là.



Dans quelle maison seriez-vous ?
Difficile ! Je me suis souvent posé la question. Avec mon côté intello à lunettes, je me suis souvent dit que j'irais à Serdaigle, mais tous les tests que j'ai faits m'ont dit que j'irais à Gryffondor, et c'est vrai que je manque de sérénité pour aller à Serdaigle, donc... du côté des lions ! Et puis, Hermione est bien à Gryffondor.

Si vous étiez dans l'équipe de Quidditch, à quel poste joueriez-vous ?

Certainement pas poursuiveur ni gardien, je suis NULLE pour attraper les ballons (mais alors, plus nulle, tu meurs). Frapper dans des cognards me dirait bien, mais ça doit faire mal quand on se les prend, et généralement c'est pour les baraqués. Donc je dirais attrapeur, parce que je suis fluette comme Harry et que j'ai un bon oeil pour repérer les petits trucs cachés.

Est-ce que la fin de la saga vous a plu ?

Oui ! J'étais dans une phase un peu particulière quand j'ai lu le 7 pour la première fois donc ça a faussé ma lecture, mais depuis je l'ai relu plusieurs fois et chaque fois, j'ai adoré. Même l'épilogue me plait (dans le film par contre c'est ridicule... d'ailleurs je n'aime vraiment pas la deuxième partie du 7 en film, ils ont changé beaucoup trop de choses et ils ont donné un côté ultra jeunesse au film alors que le livre est très sombre, et c'est d'autant plus dommage que la première partie du 7 était franchement pas mal). Donc bref, j'adore la fin, ce qu'on apprend sur tel ou tel personnage, la manière de se défendre de tel ou tel personnage spoiler à surligner : beaucoup se plaignent de l'effet ricochet de l'Expelliarmus de Harry sur Voldemort, mais au contraire je trouve que c'est parfait, parce que c'est LE sort favori de Harry depuis le début et ça montre qu'il n'est pas obligé de s'abaisser à faire de la magie noire pour vaincre Voldemort, en fait Voldemort s'annihile tout seul avec sa propre magie. Je suis très contente que Harry survive aussi XD, et je ne trouve pas que ça fait trop "tout est bien qui finit bien", parce qu'à côté il y a plein de personnages géniaux qui meurent, notamment Fred, Lupin, Tonks.../ fin du spoiler.


Qu'est-ce qu'Harry Potter représente pour vous ?

Houlà là ! HP, c'est les bouquins que j'ai lus et relus sur le banc de la cour de récré quand j'étais au primaire et que je n'avais pas d'amis, donc... grosse valeur émotionnelle. Plus que la saga de mon enfance et de mon adolescence, c'est la saga qui a enraciné l'amour de la lecture en moi, qui a fait que je n'ai jamais eu peur par la suite de lire des bouquins de 700 pages, qui a fait que j'ai eu envie d'écrire à mon tour et d'essayer de faire rêver des gens comme HP m'avait faite rêver. C'est aussi la saga qui fait que je partage des trucs énormes avec des gens aujourd'hui : avoir Harry Potter en commun, ce n'est pas rien. Quand on y pense, on est toute une génération à avoir été éduqués par les Harry Potter : les leçons de sagesse de Dumbledore à chaque fin de tome comptent bien plus pour moi que tout ce que mes parents ont pu chercher à m'inculquer (enfin, ça, ça dépend des familles bien sûr), et un bon nombre des valeurs que j'ai aujourd'hui dérivent d'HP. On ne peut pas lire 15 fois chaque tome d'une saga de 7 livres et ne pas être profondément influencé par chaque mot qui y est écrit, chaque réflexion, chaque vision des rapports de force, de pouvoir, de l'amour, de l'amitié... HP s'est inscrusté en moi beaucoup plus profondément que je ne pourrai jamais m'en rendre compte, c'est évident : dans ma manière de penser, de parler, de lire, d'écrire, de voir le monde autour de moi, il y a HP. Et merci infiniment JK Rowling, parce que c'est une sacrément belle saga qui a formé mon esprit, mes goûts, mon caractère.



Voilà, j'espère que ça vous aura plu, et si vous avez envie de faire ce tag, n'hésitez pas =) .

Et pour ceux qui se demandent pourquoi je n'ai pas donné de signe de vie pendant dix jours : j'ai eu une crève sévère la semaine dernière, dont je me remets tout juste, et entre les horaires de cours astronomiques, le boulot, les anniversaires de potes qui m'ont achevée (Alacris malade boit une pinte de bière = RIP Alacris), et mon rhume qui me forçait à chercher refuge sous la couette toutes les cinq minutes, je n'avais pas la foi qui déplace les montagnes et j'ai été atteinte de flemmardise aigue quant à l'écriture d'articles... mais je compte bien reprendre du service dès à présent ! (Comme le dit si bien Diversesetavariées, la force de l'ibuprofène est en moi).

jeudi 3 octobre 2013

Pourquoi lire The Catcher in the Rye en anglais

Holden Caulfield

  Ca fait un petit moment que je laisse certains d'entre vous sur leur faim en clamant sans me justifier en plus de trois lignes que la traduction française de The Catcher in the Rye (ou l'Attrape-coeurs... titre qui lui, au moins, rend bien en français) est tout au mieux moyenne, et qu'elle doit être à l'origine de leur manque d'intérêt, voire de leur dégoût pour ce roman. Je me suis dit qu'il était temps de m'expliquer un peu plus.

  J'ai été surprise de remarquer en me promenant sur la blogo, à quel point vous étiez nombreux à ne pas avoir aimé The Catcher in the Rye. Je ne prétends pas que cet article vous fera changer d'avis : même si j'aime profondément ce livre, je respecte vos avis, je comprends les raisons pour lesquelles on peut ne pas l'aimer, et surtout, une mauvaise traduction n'est pas la seule raison pour laquelle on peut ne pas l'aimer ! Certains lecteurs sont juste agacés par Holden, d'autres trouveront que ça manque d'action, d'autres encore pourront penser que ce livre est vain et que les quelques faibles messages qu'il peut porter sont désuets ou qu'ils ne valent pas la peine d'écrire 277 pages, ou qu'ils sont mieux retranscrits dans tel autre bouquin... bref, un tas de raisons pour lesquelles The Catcher in the Rye peut déplaire. Mais si je prends la peine d'écrire cet article, c'est parce qu'il m'a semblé que dans pas mal de cas, c'était une mauvaise traduction qui avait faussé la lecture. Là-dessus, je ne vais pas être d'un très grand secours : à mon avis, il ne peut pas y avoir de bonne traduction pour ce livre. C'est prétentieux dit comme ça, et je ne suis pas moi-même traductrice professionnelle donc en un sens, ce n'est pas à moi de juger de ça, de plus que des traducteurs ont dû s'arracher les cheveux sur ce roman pour produire une traduction qu'ils estimaient honorable et ce n'est pas très respectueux de ma part de piétiner leurs efforts en tranchant que ce roman est impossible à traduire, mais c'est un sentiment que j'ai eu pendant ma lecture (en VO), et les réactions des gens qui l'ont lu en VF n'ont fait que confirmer mes craintes : toute traduction est en un sens une trahison, mais une trahison peut réussir à être fidèle... dans le cas de The Catcher in the Rye, même une traduction qui tente d'être fidèle est une déformation totale.

  Histoire de donner un côté ludique à la chose (on espère toujours), je vais répartir ça en quelques points (et non, ceci ne sera pas en trois-parties-trois-sous-parties, mais en quatre parties très inégales, n'en déplaise à la vieille rhétorique).

Pourquoi donc lire The Catcher in the Rye en VO ?

  1. Tous les gens que je connais qui l'ont lu en anglais l'ont adoré, et (presque) tous les gens que je connais qui l'ont lu en français l'ont détesté.

  Bon, vous me direz : tout le monde dans les pays anglophones n'adore pas ce roman, donc clairement, il y a une question de goût qui joue. Oui, je suis d'accord avec vous : on peut n'être pas réceptif aux thèmes du roman, trouver qu'il manque de substance, qu'il n'est pas original, qu'il ne mène à rien, etc. Mais ce qui m'a étonnée, c'est que des gens dont je connais les goûts aient détesté ce roman, alors que vu ce qu'ils lisent et aiment à côté, ce n'est pas cohérent que The Catcher in the Rye leur déplaise. Le côté ado rebelle qui envoie bouler le monde entier, qui refuse de grandir parce qu'il a un complexe de Peter Pan qui le rend progressivement étranger à tout ce qui l'entoure, et qui se réfugie dans la solitude, théoriquement, c'est le genre qui plaît aux solitaires pas très bien dans leur peau qui nourrissent à l'égard de ce qui les entoure un sentiment de colère refoulée. Il n'y a pas que ça dans le roman, et on peut à la fois être solitaire et détester Holden parce que Holden s'enfonce tout seul et qu'il n'est pas franchement porteur d'espoir pour quelqu'un qui a envie d'entendre que oui, un jour, les exclus, les weirdos, les gens qui se sentent différents, nés dans la mauvaise époque, le mauvais endroit (bref tout ce que vous voulez), trouveront un moyen de se réintégrer et que ça va aller mieux avec l'âge, que le lycée n'est qu'une étape dure à passer, et autres - bref, en partie des thèmes avec lesquels The Perks of being a Wallflower par exemple, a fait un tabac. Mais on peut aussi détester Holden et aimer ce roman.
  On n'est pas obligé d'aimer les personnages d'un roman pour aimer ledit roman ; certes aujourd'hui on est complètement influencé par les rayons qui rivalisent de héros auxquels nous, lecteurs, puissions nous identifier, ou que nous puissions admirer etc, mais selon moi un grand pas en avant dans la lecture, c'est d'apprendre à aimer un roman dont on n'aime pas les personnages. Parce que c'est là qu'on commence à prêter attention à la trame, aux mots, à la syntaxe, le rythme, la musicalité, et tant d'autres choses magnifiques. Je vous accorde que dans un roman où la voix de Holden occupe tant de place, c'est dur d'apprécier la lecture sans avoir un minimum de sympathie pour Holden. Mais on peut aussi adopter une lecture ironique. On n'est pas obligé d'être un lycéen mal dans sa peau pour aimer The Catcher in the Rye, sinon ce ne serait pas un des plus grands classiques américains du XXe siècle. 


  2. L'oralité et la vulgarité du texte sont beaucoup plus passe-partout en anglais qu'en français.

  Ca, c'est LE point le plus important selon moi. Tout au long de ma lecture, je me disais "Mais bon sang, les traducteurs ont dû devenir dingues sur ce passage, comment ont-ils pu le traduire et restituer la couleur du texte original ?". Et puis j'ai eu ma réponse, quand des lecteurs du roman en VF m'ont cité des expressions qui ont fait se dresser les cheveux sur ma tête : la couleur du texte original a subi une altération, et pas des moindres (je pense notamment, Matilda, au terme "bigophoner" qui t'avait tellement choquée en français... en traduction de l'expression "give a buzz" en anglais, beaucoup plus proche de "passer un coup" de fil", même s'il faudrait que ce soit plus vulgaire que ça).
  Le problème, c'est que la langue que parle Holden Caulfield n'a pas vraiment d'équivalent en français. Holden est un jeune garçon de bonne famille dans les années 50, il a reçu une éducation stricte des milieux privilégiés, ses parents connaissent beaucoup de mondains et fréquentent le beau monde de New York, Holden est excellent en dissertation... bref, il sait parler un très bon anglais.
  Et pourtant, il est vulgaire. C'est là que ça se complique.
  En français, la discrimination par la syntaxe, la grammaire, etc., est beaucoup plus forte qu'en anglais. Les anglophones ont un autre truc qui leur permet directement de savoir à quelle classe sociale ils ont affaire : l'accent. Je n'irais pas jusqu'à dire que la syntaxe ne compte pas, mais l'anglais est extrêmement plus souple que le français : mettre un "was" après un "you", ou un "were" après un "he" est quelque chose qui se trouve fréquemment, y compris dans des milieux lettrés (si, si), de même qu'oublier de mettre "were" et utiliser à la place "was" dans une formulation hypothétique ou un irréel (ex: "if he was rich, he would buy a house"). "Were" est resté seulement à la première personne du singulier (expression figée "If I were a boy"), tout simplement parce qu'à force de n'être pas respectée, la règle est devenue plus souple, et dire "I wish I was a punk rocker with flowers in my hair" n'est plus une faute (alors que selon les manuels de grammaire, c'en est une).
  Bref, j'arrête le jargon, parce qu'à part les étudiants en anglais je vais perdre tout le monde sinon. Ce que je veux dire par là, c'est que le langage de Holden est un mélange bizarrement harmonieux entre un parler des plus corrects et un parler des plus incorrects. Et quand on fait la même chose en français, le mélange n'est pas harmonieux, mais explosif. Ca peut être très beau de traduire ça par un mélange explosif, même si ce n'est pas fidèle à la fluidité, à la "banalité" du texte original. Le souci, c'est quand les traducteurs choisissent d'annuler ce mélange, et de faire en sorte que la vulgarité de Holden... soit une vulgarité du genre à s'écrier "Sapristi !" au lieu de grommeler"Putain de bordel de merde". C'est là qu'on retrouve la discrimination : l'anglais, tout du moins l'américain, est un mélange de cultures, et se définit précisément par ce mélange, ce chaos, ce flux... tandis qu'en français, quelqu'un qui s'exprime mal, qui fait des fautes, est automatiquement catalogué au plus bas de l'échelle sociale. Et comme Holden vient des milieux ultra bourgeois, la vieille traduction des années 60 a estimé qu'on ne pouvait pas le faire parler mal. Ce qui annihile complètement l'originalité de l'oeuvre, qui tourne autour d'une chose avant tout : la VOIX  de Holden. D'accord, Holden est un "bourge" qui croit s'encanailler alors qu'il reste très conventionnel, presque conservateur dans ce qu'il fait (dans son rapport aux femmes, à l'argent, aux professeurs, aux gens qu'il déteste...), donc dans une certaine mesure, c'est intéressant de le montrer à travers un langage soutenu, si bien qu'il croit être vulgaire alors qu'il ne l'est pas tellement, et que malgré tous ses efforts il ne parvient pas à échapper au milieu social auquel il appartient. Mais encore une fois, le problème, c'est qu'en VO il est vulgaire. Et comme si ça ne suffisait pas, ce vulgaire-là est commun en anglais : les "I swear to God", les "It killed me", les "Goddam" les "It depressed hell out of me" sont oraux et même vulgaires certes, mais ils sont tellement ancrés dans la langue américaine que ça ne choque pas vraiment. Holden parle plus correctement que Debra Morgan dans la série Dexter !
  Donc en fait, on a un problème des plus tortueux : la VO est vulgaire et correcte à la fois, mais le français est obligé d'être soit vulgaire soit correct et choisit d'être correct et c'est une trahison par rapport à la vulgarité de l'oeuvre, mais en fait la vulgarité de l'oeuvre en VO n'est pas si choquante, tandis qu'en français la vulgarité est forcément choquante (y'a qu'à voir les tôles que se sont pris un Céline ou un Sartre dans la gueule, se faisant accuser de n'être pas de véritables écrivains). On pourrait en conclure que du coup, très bien, vu qu'en fait le vulgaire est à peu près correct en VO, on peut traduire directement en langage correct en VF, et que ça revient au même. Sauf qu'en faisant ça, on perd toute la richesse du texte.

  3. Donc il n'y a pas d'équivalent langagier exact du parler de The Catcher in the Rye en français.

  Pour ce point-là, je vais commencer par vous copier/coller quelque chose que j'avais dit en commentaire sur la chronique du roman, parce qu'en me relisant je trouve que ça synthétise bien mon impression, et sur le moment je venais de finir le bouquin donc ça saisit au mieux mon sentiment à la lecture :

  En français, le langage est beaucoup plus discriminatif, et il y a une dichotomie entre les gens qui parlent le "bon français", et les gens qui parlent le "français vulgaire". Ce qui revient à : 
- Solution 1) extraire le vulgaire et les fautes de grammaire du discours de Holden et lui donner l'air d'une fils de bonne famille pas révolté du tout.
- Solution 2) utiliser des jurons vieillots dans la traduction qui lui donnent l'air ridicule et marquent l'oeuvre dans une époque T au lieu de l'aider à garder son côté universel.
- Solution 3) essayer de rendre au mieux le langage vulgaire de Holden, en sachant qu'en français ça va faire lourd et bizarre (du style "donc j'ai mis mon putain de chapeau et j'ai posé mon cul sur cette connerie de banc et j'ai regardé ces connards de gens déambuler dans la rue comme des cons").

  Fin du copié/collé, maintenant c'est l'Alacris du présent qui vous parle (diantre, ce sentiment d'être étrangère à moi-même tout à coup... hum). Honnêtement, je pense qu'il doit y avoir un moyen de traduire The Catcher in the Rye en en faisant quelque chose de bien, même si ça veut dire trahir telle ou telle chose. Pour ma part je ne vois pas vraiment de solution possible, mais heureusement il y a des gens très ingénieux et passionnés de linguistique qui s'appellent des traducteurs et qui eux, devraient être plus inspirés que moi face à un roman dont je considère que la traduction est une impasse. Je n'ai qu'une vague idée de ce à quoi la traduction plus moderne ressemble : celle des années 60 est complètement désuète et vu la censure de l'époque, on peut comprendre pourquoi la vulgarité de Holden a pu passer à la trappe... mais aujourd'hui, la vulgarité de Holden est devenue banale. Du moins en anglais. En français, c'est une autre histoire. Mais à mon sens, la manière de parler français maintenant a énormément changé par rapport aux années 60, alors que l'anglais... beaucoup moins. Je veux dire, la manière de parler des gens au quotidien. Le français des années 60 était plus soutenu que le français d'aujourd'hui, les tournures plus recherchées... il y a énormément d'expressions qui sont tombées en désuétude. Alors qu'en anglais américain, regardez un film des années 60 en VO, à part un ou deux trucs du genre "Why, sir !" auquel vous n'êtes pas forcément habitué, il n'y aura rien sur quoi vous buterez. Donc est-ce qu'il faut traduire la langue de Holden comme s'il s'exprimait de nos jours, où lui donner une touche sixties ? Sachant que si on lui donne une touche sixties, ça a l'air ridicule de nos jours, et que si on lui donne le parler d'aujourd'hui, c'est un anachronisme. Dur dur, de s'en sortir !



  4. Si vous vous débrouillez en anglais, c'est facile à lire en VO.

  Beaucoup de répétitions, une étendue de vocabulaire assez limitée, des expressions orales qui sont encore largement usitées aujourd'hui... à part pour quelques mots rares et quelques expressions (dont en plus, on devine le sens en contexte, du genre "corny" ou "crumby" "to horse around"), on a à peine besoin d'ouvrir le dictionnaire, et comme les mêmes expressions ne cessent de revenir, au pire on ouvre un peu le dico pendant les 30 premières pages et ensuite on n'a plus besoin de l'ouvrir pendant tout le reste du bouquin.
  Je n'ai pas envie d'en venir à la conclusion qu'il faut lire ce livre en VO, point barre, et que ceux qui ne parlent pas anglais, tant pis pour eux, parce que ce serait la conclusion la plus bêtement pessimiste qui pourrait être tirée, et il y a des oeuvres bien plus difficiles à traduire que The Catcher in the Rye qui ont été bien mieux traduites, donc d'une façon ou d'une autre, ça doit être possible ; et de plus, on peut lire le bouquin en français et l'aimer (petit clin d'oeil à Maetel qui passe peut-être par là), mais je pense qu'on lui rend beaucoup mieux justice en le lisant en VO (en même temps, pour quel bouquin ce n'est pas le cas...), et comme il s'agit de l'anglais, qui est une langue dans laquelle pas mal de monde  a des bases, ce serait dommage de ne pas donner sa chance à ce livre en VO si on a les moyens de le faire.

  Voilà, j'espère que j'ai réussi à faire quelques adeptes / à convaincre des lecteurs déçus par la VF de retenter le coup en VO...

  Et sur ce, je vous laisse avec un article de slate.fr que j'ai trouvé en vagabondant sur internet : ça interroge l'intérêt de The Catcher in the Rye de nos jours, par rapport à la tradition du roman d'adolescence ou de rébellion aux Etats-Unis (l'héritage de Huckleberry Finn est étudié, notamment), et l'une des questions posées est de savoir si ce roman est tombé en désuétude ou non... en fait c'est plutôt rigolo, parce que je suis tombée sur cet article vraiment au hasard, et ce sont des professeurs de mon université (Paris Diderot) qui s'expriment dedans, notamment deux professeurs dont j'ai suivis les cours l'an dernier (et qui sont d'ailleurs excellents). Le monde des anglicistes français est décidément bien petit...