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dimanche 31 mars 2013

C'est (presque) lundi, que lisez-vous ? MODERN FICTION

(Image venant de cette magnifique galerie sur DeviantArt : M0THart)
"C'est lundi" est un rendez-vous hebdomadaire qui a été instauré par Malou et Galleane.

Oyé, Oyé !

On m'a parlé d'une pratique qui se faisait beaucoup ici, sur la sphère des blogueurs-lecteurs : la rubrique "C'est lundi, que lisez-vous ?"

Alors, comme je viens de lire un petit essai de Virginia Woolf (une perle appelée Modern Fiction) et qu'on est dimanche soir, je me suis dit que... un peu d'avance sur son programme ne faisait de mal à personne.

Virginia Woolf, 1882-1941


Un peu de contexte : Essai publié en 1919 par V. Woolf, actuellement la plus célèbre de tous les écrivains féminins reconnus comme "traditionnels" de Grande-Bretagne. En 1919, Woolf avait encore publié très peu d'écrits : pas de Mrs Dalloway, pas de The Waves, pas de To the Lighthouse, pas d'Orlando... mais c'était déjà une critique à la plume acérée et très "witty" (pleine d'esprit) comme diraient nos amis les Anglais...

Le contenu de ce bref essai de 10 pages, mais rempli d'idées intéressantes : la fiction en prose (surtout le roman) s'est-elle améliorée depuis ses débuts ? On ne peut pas comparer le progrès industriel à un potentiel progrès littéraire. En même temps, le roman moderne est plus "true to life", plus authentique que les anciennes formes de roman. Woolf observe ensuite les exemples de quelques romanciers connus de son temps (aujourd'hui tombés dans l'oubli) qu'elle appelle "matérialistes", en ceci que dans leur oeuvre tout est réglé au détail près afin d'imiter la vie de tous les jours et les particularités de leur époque, et qu'ils se croient obligés de mettre dans leur oeuvre de la tragédie, de la comédie, un peu de romance, et un air de probabilité qui enveloppe le tout. Mais les romans, pour imiter la vie, doivent-ils être ainsi ?
Car la vie n'est pas ainsi. La vie est une myriade constante d'impressions multiples, notre perception n'est pas réglée minutieusement comme les romans médiocres que Woolf vient d'évoquer. La vie n'est pas faite d'une série de lampes organisées de façon symétrique, mais elle est entourée d'un halo lumineux, insaisissable, qui nous enveloppe du début à la fin. Le romancier ne doit donc pas mettre de l'ordre là où l'impression originelle est faite de désordre : c'est trahir l'impression, et donc trahir la vie.
Après, Woolf s'engage dans une critique élogieuse des écrits de James Joyce (le rapport entre Woolf et Joyce est assez problématique, elle le voyait comme un rival mais en même temps parfois elle lui jetait quelques fleurs). Elle qualifie Joyce de spirituel par opposition aux matérialistes évoqués plus haut. Dans ses écrits, Joyce dévoile l'aspect vacillant, clignotant de la pensée, et ainsi chez lui on peut trouver la vie en elle-même. C'est pourquoi on peut qualifier ses écrits les plus soignés (The Portrait of the Artist as a young man, Ulysses, Finnegans Wake) de chef-d'oeuvres. Après quoi, Woolf se demande si c'est la méthode qui restreint le pouvoir créatif, puisque trop d'organisation peut amener à altérer la sensation première. Mais elle conclut la première partie de l'essai en disant que non : toute méthode qui exprime ce qu'on souhaite exprimer en tant qu'auteur est bonne, et toute méthode qui nous rapproche de l'intention de l'auteur est bonne si nous sommes un lecteur.

Dans la deuxième partie (très brève, une ou deux pages), Woolf se penche sur une nouvelle de Tchekov et admire le fait qu'il fasse porter l'attention sur des détails absolument inattendus dans son récit, ce qui traduit le caractère unique de la "vision" de Tchekov, et fait donc de lui un auteur à la technique révolutionnaire. Woolf déplore alors que les romanciers russes de son temps soient très supérieurs aux auteurs britanniques, puis elle se reprend et résout le problème en disant que les Russes et les Anglais ont des sensibilités, des perceptions différentes, et qu'en quelque sorte elles se complètent. 
Elle finit son essai en disant qu'il n'y a pas de sujet propre à la fiction qui soit prédéterminé : tout sentiment, toute pensée peut être le sujet d'une fiction, et aucune perception n'est bonne à laisser. Tout est matière à fiction.


Quelques citations en vrac, en version originale car je n'ai pas pu trouver de traduction, et puis de toute manière j'ai traduit dans cet article de nombreuses expressions de l'essai :

Nicole Kidman dans le rôle de Virginia Woolf dans The Hours, de Stephen Daldry, 2011)

♥ "It is doubtful whether in the course of the centuries, though we have learnt much about making machines, we have learnt anything about making literature"
♥ "[a materialist writer] takes too much delight in the solidity of his fabric"
♥ "Life is not a series of gig lamps symmetrically arranged; life is a luminous halo, a semi-transparent envelope surrounding us from the beginning of consciousness to the end. Is it not the task of the novelist to convey this varying, this unknown and uncircumscribed spirit, whatever aberration or complexity it may display, with as little mixture of the alien and external as possible?"
♥ "In contrast with those whom we have called materialists, Mr. Joyce is spiritual; he is concerned at all costs to reveal the flickerings of that innermost flame which flashes its messages through the brain. [...] If we want life itself, here surely we have it"
♥ "Any method is right, every method is right, that expresses what we wish to express, if we are writers; that brings us closer to the novelist's intention if we are readers"
♥ ""The proper stuff of fiction" does not exist; everything is the proper stuff of fiction, every feeling, every thought; every quality of brain and spirit is drawn upon; no perception comes amiss"


En espérant que cet article vous plaira !
 J'y ai mis du coeur, mine de rien ça demande de la synthèse... ENJOY !

Alacris.




9 commentaires:

  1. Très intéressant, je ne me suis encore jamais penchée sur cette auteur, peut-être un jour ? Qui sait ?
    Quoiqu'il en soit, les questions qu'elle soulève sont tellement vastes... Ca me rappelle l'opposition entre les peintures académiques et ce qui deviendra l'impressionnisme à la fin du XIXème. Si on comprend tout à fait le point de vue de Woolf (que je mets en relation directe avec l'impressionnisme, enfin, je trouve que ça s'en rapproche) est-ce que, pour autant, les peintures académiques sont moins puissantes ? Elles sont moins intimes, à la rigueur, mais on retrouve toujours la "manière de" du peintre, tout comme dans les romans, même le livre le plus médiocre et plus organisés qui soit ne sera jamais objectif... personne n'écrit pareil.
    Et.. Je sais pas trop ce qui m'a poussé à dire tout ça, c'est pas très brillant (j'ai le cerveau en compote, je souffre), donc faut pas relever XD *a besoin de dormir, mais a encore 6 pages à rédiger sur Hemingway (et ouai, finalement, c'est plus Sartre)*.

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    1. Elle vaut largement le détour (c'est un pilier !), même si je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'elle dit. En effet, c'est vaste, et tu as raison de penser aux peintures académiques VS l'impressionnisme: Woolf se situe dans le modernisme naissant, et elle est très critique des oeuvres littéraires antérieures. Mais ce n'est pas un rejet complet ! Pour répondre à ta question, honnêtement, je ne sais pas si elle considère les oeuvres passées moins puissantes. Au début de son essai elle dit que la progression des oeuvres littéraires n'est pas comparable aux progrès techniques: il n'y a pas une progression linéaire, et la question de progression elle-même est problématique. Et dans un essai-roman-conférence comme A Room of one's own, elle rend hommage à beaucoup d'auteurs du passé, tout en les critiquant pour ce qu'elle considère souvent être les défauts de leur époque. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'en art, le modernisme n'est pas un mouvement en "isme" de plus: c'est une révolution, un changement total des valeurs, une sorte de retour à zéro même si paradoxalement c'est le mouvement qui cherche le plus à intégrer toutes les oeuvres précédentes. Donc Woolf s'oppose à ce qui a précédé. Et elle est très certainement contre ce qu'on pourrait appeler l'écriture académique (de manière générale, Woolf est contre tout ce qui est fermement établi, car pour elle il n'existe rien de tel dans la vie réelle, et ainsi elle n'aime pas ce qui est figé, solide, majestueux, car c'est ce qu'elle assimile à de la pédanterie typiquement masculine par rapport aux femmes qui auraient une écriture plus discrète, souple, et sujette à prendre n'importe quelle forme... ça, c'est la thèse de Woolf au milieu des années 20, et elle n'a pas vécu très longtemps après, donc elle n'a pas assisté à toutes les métamorphoses qui sont survenues dans la littérature aussi bien masculine que féminine, et je pense que le côté "écriture-forteresse" qu'elle reproche aux écrivains masculins est quelque chose qui s'est énormément estompé de nos jours, mais bon...)
      Ce n'est pas tellement qu'elle reproche à ces écrivains "matérialistes" de produire des oeuvres objectives, mais elle leur reproche de produire des oeuvres étouffantes, si ficelées qu'il n'y a plus un coin pour respirer, comme s'ils voulaient reproduire le réel dans son intégralité, au point de ne plus s'attarder sur rien en particulier mais de s'attarder sur tout, ce qui revient à ne s'attarder sur rien. Leurs oeuvres sont tellement solides, tellement compactes, tellement denses qu'il est impossible de trouver de la vie à l'intérieur, les personnages sont comme écrasés par le devoir que l'écrivain se fait de reproduire la vie, alors qu'il la reproduit mal. Il faut se dire qu'à l'époque, le stream of consciousness, ça n'existait pas. Ce sont principalement Joyce et Woolf qui l'ont développé.

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    2. ... Je venais de te répondre le commentaire le plus long de ma soirée, il était super intéressant à côté de mon truc aux raz des pâquerettes de tout à l'heure et... blogger a fait une erreur, mon message s'est effacé à la validation.

      *part se pendre*

      Je suis trop dead pour le refaire, mais en tout cas, je commençais en te disant que ta réponse était extrêmement intéressante (puis elle a soulevé plein de raisonnements de ma part et... BAM, plus rien... CA COMMENCE MAL !).


      P.S : désolée, je fous le dawa sur ton article, faut que j'aille me coucher. Je me suis plantée d'endroit pour répondre.

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    3. Haaaan ma pauvre ! Je compatis sincèrement, c'est terrible quand on perd un long post qu'on vient de rédiger... c'est pourquoi j'ai un tic, à chaque fois, avant de poster un commentaire / message / article / whatever : CTRL + C !!! Enfin bon, va dodoter, tu en as grand besoin <3

      PS : C'est l'intention qui coooompte.

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  2. Woolf et moi ce n'est malheureusement pas une histoire d'amour ( Orlando m'a vraiment laissé perplexe, j'ai pourtant envie de me plonger dans The Waves ! ) mais ton article me donne envie d'approfondir la question ! A voir si je tente cet essai en VO ou pas ><
    J'aime bien ta manière de reprendre ce rdv en passant ;), c'est plutôt impersonnel généralement...

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    1. Jamestine ==> Oh, tu n'as pas aimé Orlando ? Moi qui viens de l'acheter... enfin, ça ne va pas me dissuader de le lire pour autant, il faut que je me forge ma propre opinion, d'autant plus que l'androgyne est un de mes thèmes préférés. C'est parfois difficile de se plonger dans Woolf. On a du mal à voir où elle veut en venir, on éprouve des difficultés à prendre ses repères, et puis finalement on accepte de n'en prendre aucun et ça marche plutôt bien. Il faut généralement relire ses livres plusieurs fois avant de bien saisir ce qui est à l'oeuvre dedans. Ma première lecture de Mrs Dalloway a été pénible, alors que j'ai adoré la seconde lecture ! Sinon il y a To the Lighthouse donc j'ai étudié des extraits, et qui est l'une de ses oeuvres qui se prête le mieux à la lecture, je crois... pas encore lu The Waves, je ne peux pas te conseiller ! Je pense que tu peux tenter la lecture de Modern Fiction en VO en tout cas, ça se lit facilement et c'est très court.

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  3. "Modern fiction" il faut partie d'un bouquin avec d'autres trucs dedans ou bien on peut le trouver comme ça ?
    Je n'ai lu d'elle qu'un seul essai De la lecture & de la critique que j'ai trouvé sublimissime, du coup j'ai envie de la découvrir plus avant.

    Article intéressant, le seul bémol que je trouverais c'est que les citations sont vraiment écrites petites pour qu'on puisse les lire de façon fluide :)

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«Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire»
Maurice Blanchot

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