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dimanche 2 juin 2013

De l'Allemagne, 1800-1939 : De Friedrich à Beckmann, au Louvre (# 2)


Voilà le retour des récits d'expos ! Pour trouver la première partie de celle-ci, "De l'Allemagne, de Friedrich à Beckmann", vous pouvez aller ici (cet article couvre fin du XVIIIe - fin du XIXe). L'article d'aujourd'hui sera consacré à la partie restante, fin XIXe - 1939, date où les organisateurs de l'exposition ont choisi de s'arrêter, ce qui n'a pas manqué de déclencher une polémique (un peu stérile si vous voulez mon avis), comme quoi ils auraient présenté le nazisme comme l'aboutissement de l'art allemand (je vous avais prévenus que c'était stérile).


Eglise dans la Wedhe frissonne,
Franz Radziwill
On commence avec l'un de mes coups de coeur, "Eglise dans la Wehde frissonne", de Franz Radziwill. J'ai cherché en vain la date (que j'ai oublié de noter le jour de l'expo), car ce peintre semble assez peu connu (1895-1983, représentant de la Nouvelle Objectivité et du Réalisme Magique).

Ce qui m'a plu dans ce tableau, ce sont les couleurs. C'est un peu glauque dans l'ensemble, sans doute, mais justement, c'est cette morbidité ambiante qui s'en dégage si fortement, qui m'a fascinée. Le ciel est verdâtre, sombre, menaçant ; il y a juste une petite touche d'or à l'horizon en bas à droite, et encore, c'est un jaune assez maladif, donc la promesse de l'aube est, dès l'abord, problématique. La minuscule église ratatinée en ruines est entourée d'une cimetière de guingois où toutes les tombes sont de travers ; il n'y a pas d'harmonie, on dirait que tous les morts du monde se sont retrouvés là, éparpillés les uns à côté des autres sans raison (vous remarquerez le monument aux morts type médiéval sur la gauche). Le fait que les tombes soient de couleur m'a frappée également. Ce tableau exerce donc pour moi un fort pouvoir de fascination.

Polarity, paysage apocalyptique - Grosz
  Passons maintenant à Polarity, paysage apocalyptique (Grosz, lui aussi adepte de la Nouvelle Objectivité mais aussi participant du groupe français Dada). Là encore, les couleurs assez sombres m'ont séduite. Mais pas seulement : cette lune bleue voilée de nuages en haut à droite est à peu près la seule forme distincte qu'on puisse trouver, et elle ne manque pas de mystère. Partout sur le tableau, on voit s'agiter, se tortiller des figures monstrueuses, des écrans de fumée, des paysages qui se détruisent... le mélange entre le rouge, le jaune, et le bleu insiste sur cette dimension de destruction d'ailleurs, même si le bleu reste à part.


L'assaut
Homme blessé
  Les gravures d'Otto Dix représentant la Première Guerre Mondiale et l'horreur des tranchées étaient également au rendez-vous. Ces images sont très célèbres, donc j'imagine que vous en êtes déjà familiers, mais je les remets tout de même ici car elles sont saisissantes, et il y en avait un grand nombre au Louvre. On voit bien la déshumanisation des masques à gaz dans l'assaut, dernière vision cauchemardesque des soldats avant de mourir, et le hurlement d'angoisse de Homme blessé.

Le prophète, Jacob Steinhardt



  La Première Guerre Mondiale bouleverse les codes de représentation ; on voit dans Le Prophète de Steinhardt que la perspective est complètement chamboulée ; le prophète et les masse des visages gris semblent se situer sur des plans différents, sans parler du ciel et de la ville qui s'entrechoquent et menacent de ne former bientôt plus qu'une bouillie indifférenciée...








La Ville, Steinhardt
  Autre tableau de Steinhardt, que j'ai beaucoup aimé : La Ville.

  D'abord, encore une fois, les couleurs (vous allez croire que je ne juge qu'en fonction de ça). Ce vert bouteille / gris-bleu délavé, illuminé çà et là par des touches jaunes qui n'ont rien de réconfortant ni de chaleureux dans la nuit qui n'est qu'un grand bazar, m'ensorcelle. Ce tableau fait naître chez le spectateur un sentiment de malaise diffus qui s'installe et le happe. 
  La perspective, une fois de plus, est renversée ; les immeubles tanguent, menacent de s'effondrer par terre, sur la procession des noctambules qui n'ont pas conscience que l'apocalypse est proche dans leur paysage urbain décadent. La femme à la fenêtre en bas à gauche a des traits grossiers, grotesques, qui lui donnent un air fantoche ; quant aux têtes de la fenêtre du dessus, elles ne sont guère plus que des têtes de morts... un univers précurseur des films de Tim Burton.



                                Le malade d'amour                                                            Le Suicide

  D'autres tableaux de Grosz à présent, qui m'ont profondément marquée, surtout Le malade d'amour.
  Les deux ont une atmosphère maladive, mortifère. Le Suicide apparaît presque comme l'aboutissement logique du Malade d'amour, comme si les deux étaient des vignettes dans l'histoire du même homme (d'ailleurs, l'homme est habillé de la même façon dans les deux, il a une canne, et il y a un chien qui l'accompagne). Celui de gauche est, de toute évidence, alcoolique, et son visage est maquillé à la manière d'un clown (il ressemblerait presque au Joker, non ?). Seul à sa table, il noie son chagrin et se détache de l'univers dans lequel il ne s'inscrit qu'à moitié puisqu'il n'est pas dessiné selon la même perspective que ce qui l'entoure.

  A droite, dans Le Suicide, l'homme a mis fin à ses jours sous la fenêtre d'un prostituée qui le regarde d'un air impitoyable. Peut-être rit-elle même. On peut très bien imaginer que c'était sa maîtresse, et qu'il s'est suicidé en voyant à quels commerces elle se livrait. La guerre, encore une fois, a bouleversé la morale et les codes sociaux ; les moeurs sont débridées, un goût d'apocalypse flotte dans l'air, et chacun tente de survivre dans la débauche...

Agosta l'homme ailé et Rasha,
 la colombe noire - Schad


  Un tableau de Schad illustrant à nouveau les bouleversements du monde nouveau et incompréhensible engendré par la guerre. Dans le contexte du racisme de l'époque, le couple entre un homme blanc et une femme noire devait être considéré choquant, et cela doit expliquer pourquoi la femme est en position d'infériorité par rapport à l'homme, en bas du tableau.
  L'homme et décharné, ses côtes ressortent -une possible allusion à tous les handicapés de la guerre ? - et il ne semble pas y avoir d'amour dans ce couple ; les deux ont un regard impassible, presque éteint, mort.









  L'exposition s'achevait sur de nombreuses photographies de Sander - des victimes d'explosion, des intellectuels, des clochards, des militaires, de hommes de loi, des jeunesses hitlériennes... - qui montraient le panel de la société des années 30. Son but : offrir une représentation globale de la société allemande de l'époque à travers sa galerie de portraits.

  J'ai choisi de partager ici La femme moderne, qui m'a interpellée par son côté androgyne. Le regard de cette femme est assez captivant... j'ai du mal à en détacher les yeux.

  Le regard du photographe est à la fois objectif et empathique ; la photographie devient progressivement un art...




L'enfer des oiseaux, Beckmann

  Et pour finir, L'enfer des oiseaux de Beckmann. Je ne suis pas sûre d'aimer ce tableau, avant tout je dirais qu'il me déconcerte (en effet, comment pourrait-il ne pas déconcerter ?). Ce que j'y vois, surtout, c'est du chaos. Et une représentation de la société entre les deux guerres, bouleversée, sans repères, en pleine brutalisation. Les couleurs son criardes, les traits, grossiers et violents, et on assiste à une charcuterie en premier plan. Tableau qui ne laissera personne indifférent, donc...


En espérant que cette exposition vous aura plu autant qu'à moi !

Alacris

2 commentaires:

  1. Je trouve ton article plus intéressant que la dernière partie de l'expo en elle-même en fait, je n'aime vraiment pas beaucoup la peinture moderne (même si le Radziwill m'a aussi beaucoup plu).
    Et ça me donne très envie de retourner dans des musées !

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    1. Tiens-moi au courant quand tu passeras par Paris, on ira faire la tournée des musées ensemble !

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«Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire»
Maurice Blanchot

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