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dimanche 28 avril 2013

Chronique de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, Stefan Zweig



Scandale dans une pension de famille "comme il faut" sur la Côte d'Azur au début du siècle : Mme Henriette, la femme d'un des clients, s'est enfuie avec un jeune homme qui pourtant n'avait passé là qu'une journée...
Seul le narrateur tente de comprendre cette "créature sans moralité", avec l'aide inattendue d'une vieille femme anglaise très distinguée, qui lui expliquera quels feux mal éteints cette aventure a ranimés chez elle.

Ce récit d'une passion foudroyante, bref et aigu comme les affectionnait l'auteur d'Amok et du Joueur d'échecs, est une de ses plus incontestables réussites.




  Cette histoire présente, en gros, deux fils narratifs : d'abord le narrateur qui est à la pension et constate ce qui se passe autour de lui, et tente de diminuer les jugements moraux sévères que les gens de la pension portent sur la femme qui a abandonné son mari pour fuir avec un inconnu. Au fil des discussions, la vieille lady anglaise Mrs C... semble rejoindre son point de vue. La vieille femme, très agitée, passe plusieurs jours avec le narrateur, semblant toujours vouloir lui confier quelque chose et ne jamais s'y résoudre. Enfin, elle le convie à venir dans sa chambre quand elle apprend que le narrateur va quitter la pension, et elle devient la narratrice principale du livre, en racontant vingt-quatre heures de sa vie.

  Le récit de ces vingt-quatre heures est passionnant, intense, et poignant : la lady explique comment à la mort de son mari quand elle avait 40 ans, sa vie n'avait plus de sens et elle errait dans les salles de jeu car son mari les affectionnait. A 42 ans, parmi la marée des mains qui jouent sur le tapis vert au casino, et qu'elle a appris à analyser, elle repère une paire de mains brûlantes et fiévreuses qui la fascinent. Ce sont celles d'un jeune homme dont on dirait aujourd'hui qu'il est dépendant au jeu comme certains sont dépendants à la cocaïne. Le jeune homme perd son argent au jeu et semble désespéré ; à partir de là, la lady se donne le but de sauver la vie de ce jeune homme, et elle est emportée dans le tourbillon de sa passion pour lui.
  Je ne vous raconte pas la suite, vous la découvrirez bien assez tôt...

  Ce récit est donc bouleversant par bien des aspects, car il montre comment quelques heures dans une vie peuvent arriver à tout changer, les codes, les principes, la morale en lesquels on a toujours cru. Le but est surtout de montrer la supériorité de la passion sur la raison, et de faire taire tous les orgueilleux qui, parce qu'ils n'ont jamais vécu qu'à travers le regard de la société et n'ont jamais suivi leur instinct, se vantent d'être raisonnables par rapport aux pauvres créatures incapables de jugement. Le roman renverse complètement cette idée, car la lady anglaise est un personnage révéré dans la pension, et en tant que signe de l'aristocratie anglaise fin XIXe siècle / début XXe (l'histoire se passe en 1904, et la lady décrit une journée qui s'est passée pour elle vingt-quatre ans plus tôt, donc autour de 1880), elle est censée être la personne la plus respectueuse des conventions qui existe. Pourtant, elle a failli abandonner sa réputation pour un jeune homme qui avait la moitié de son âge.


  J'ai beaucoup aimé ce roman / nouvelle.

  125 pages dans mon édition, ça se lit très rapidement. Le style est assez léger, un peu plus ampoulé au début quand la narration est faite par l'homme, puis elle devient plus simple une fois que c'est Mrs C... qui est la narratrice.
  On entre totalement dans la narration de Mrs C... on suit sa fièvre, les tourments de son âme, ses inquiétudes, ses désirs. La passion humaine est très bien peinte, la description des mains des joueurs au Casino est fascinante... et surtout n'oublions pas que le livre a été publié en 1927 et montre la conscience d'une femme qui pense à se déshonorer.

Quelques réserves cependant :

  A peu près tout ce qui se passe est très prévisible. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais on se doute tout de suite de ce que Mrs C... a à raconter, ce qu'elle va faire avec le jeune homme, et la manière dont tout cela va terminer. Mais certains des meilleurs romans du monde sont extrêmement prévisibles et on entame bien Mme Bovary, Les Misérables ou encore La princesse de Clèves en sachant pertinemment la manière dont ça se termine, qui meurt à la fin etc., donc ça ne m'a pas vraiment dérangée.
  Quand on a lu Balzac, ça perd un peu de sa force : notamment en ce qui concerne la peinture du jeu dans les casinos (La Peau de chagrin), ou l'obsession par rapport à l'argent (Eugénie Grandet) et aux paris constants sur la chance, le hasard (La Recherche de l'Absolu). Du coup, je n'étais pas tellement "à fond" dans les descriptions du désespoir du jeune homme addict au jeu, parce que je n'arrêtais pas de penser à Balzac et de me dire qu'il le faisait encore mieux. Mais j'ai lu du Balzac la semaine dernière (Sarrasine), donc je pense que c'est parce que je suis encore trop dans l'ambiance Balzac que je dis ça. Zweig a un style complètement différent, il n'y a qu'à comparer la longueur de leurs romans : le but de Zweig n'est pas de tout décrire en long et en large comme le fait Balzac, et de nous plonger dans son roman comme dans un tableau.
  Enfin, j'ai trouvé que c'était un peu répétitif : Mrs C... utilise toujours les mêmes mots pour décrire le jeune homme, et c'est d'autant plus agaçant quand on se doute que tout ça n'est qu'une grande illusion. Cependant je crois que ça fait partie des finalités de l'oeuvre : il ne faut pas prendre le récit de Mrs C... pour argent comptant, selon moi. Elle est émouvante, touchante, admirable à certains égards, et d'ailleurs le roman se finit sur une note de respect dans l'esprit du narrateur. Mais le récit de Mrs C..., ce n'est pas le récit de Zweig : l'auteur et le narrateur diffèrent, et Zweig n'a pas pu ne pas se rendre compte d'à quel point c'était naïf et répétitif par moments ; ce doit donc être des indices qu'il sème pour ses lecteurs. De plus, ce n'est même pas une histoire d'adultère, et c'est raconté avec une pudeur excessive (pourtant Mme Bovary était passé par là, quand même... 1927, ce n'est pas 2000, mais des romans bien plus licencieux étaient déjà publiés au XVIIIe siècle, et reconnus comme des classiques), ce qui renforce mon idée que l'un des intérêts principaux de l'histoire n'est pas ce qui s'y passe, mais la manière dont Mrs C... bute sur ce secret qu'elle n'a encore révélé à personne, comment elle est aux prises avec sa propre conscience.
  Et Zweig n'est-il pas tenu pour un excellent peintres des consciences ?


En conclusion : une très bonne lecture, et je veux lire du Zweig à nouveau bientôt. Le Joueur d'échecs me tente bien !
En tout cas, je vous recommande Vingt-quatre heures de la vie d'une femme !

See you around, Alacris

11 commentaires:

  1. Ton avis est très bien écrit ^^! Je suis assez d'accord avec tout ce que tu as pu dire sauf à propos de Balzac dont je ne supporte justement pas le style T_T ( Peut être que je ne me suis pas attardée sur ses meilleures œuvres en même temps >< ) Bisous n_n

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    1. Oh, tu n'aimes pas Balzac ? J'aimerais bien savoir lesquels tu as lus de lui, afin d'essayer de cerner ce qui te dérange chez lui ^^ au premier abord ça peut être dur de rentrer dedans, mais une fois qu'on est bien installé dans ses romans, on ne peut plus les lâcher ! Après, ça dépend aussi un peu desquels... je sais que des générations entières de lycéens souffrent sur Le Père Goriot, personnellement je ne l'ai jamais lu ; j'en ai entendu beaucoup de bien par mes professeurs, donc je pense que j'aimerais si je le lisais, mais ce n'est peut-être pas le bouquin par lequel il est le mieux de commencer. Bizarrement, il y a certains livres qu'on ne peut pas aimer à moins d'avoir lu d'autres bouquins de cet auteur, je ne sais pas si ça t'a déjà fait ça ^^ par exemple j'ai détesté L'Assommoir de Zola à ma première lecture, et je l'ai davantage aimé après avoir lu Au Bonheur des dames et Thérèse Raquin, parce qu'entre temps je m'étais familiarisée à l'auteur, et du coup j'oubliais un peu ce que je n'aimais pas dans l'Assommoir, pour me concentrer sur ce que j'aimais, et que je n'avais pas remarqué au premier abord ^_^ (bref, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, j'espère que je m'exprime suffisamment clairement xD)

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  2. Oui T_T , je n'ai lu que le Colonel Chabert et le Père Goriot justement et je n'ai vraiment pris aucun plaisir ! Mais je comprends tout à fait ton raisonnement ^^ Tu me conseillerais lequel de ces livres du coup ? On ne sait jamais que cela puisse faire évoluer mon avis.

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    1. Oui donc je pense que tu as commencé par les moins attirants xD
      Je n'en ai pas lu des masses, mais voici ceux que je te conseillerais :

      - Le chef-d'oeuvre inconnu
      - La fille aux yeux d'or
      - Séraphîta
      - La Duchesse de Langeais
      - La Recherche de l'Absolu
      - Sarrasine (nouvelle, 30 pages, du coup tu le trouveras plutôt dans des regroupements de différents textes je pense)

      Et sans vraiment les connaître, je te conseillerais bien aussi Melmoth réconcilié, Le lys dans la vallée, les Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes... il faut que j'y jette un oeil ;D j'aime aussi beaucoup Eugénie Grandet, mais à ceux qui veulent attaquer Balzac, je conseille plutôt la partie "Etudes philosophiques", qui est celle qui me plait le plus, et les "Scènes de la vie parisienne" dans la partie "Etudes de moeurs". Le recueil Histoire des treize est vraiment cool.

      Renseigne-toi un peu sur les résumés de tous ceux que je t'ai cités là, et tu verras lequel te tente le plus pour commencer :p en attendant je te joins le plan de la Comédie Humaine ==> http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Com%C3%A9die_humaine#Plan_de_la_Com.C3.A9die_humaine
      (sachant que certains romans sont transversaux bien sûr, par exemple La Recherche de l'Absolu fait partie des Etudes philosophiques, mais c'est aussi une scène de la vie de province, et puis certains romans ont été changés de place du vivant de Balzac ^^)

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  3. Merci! Je prends note de tout ce que tu viens de me lister ;) Tu en as déjà lu plus que moi :D De toute façon j'en parlerai forcément sur le blog le jour où je retenterai l'aventure avec Balzac ^^. Merci d'avoir pris le temps de me répondre aussi n_n Bisous

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  4. Je me disais bien que je connaissais le pseudo Alacris ^^ C'est parce que tu connais Matilda et Jamestine =D En tout cas merci BEAUCOUP pour tous tes comm', ça me fait très plaisir ! Je vais essayer de répondre à tous dans les jours qui viennent (ça tombe bien, je suis en vacances !). Pour répondre tout de suite à l'une de tes questions, j'ai 22 ans, donc j'ai fait prépa avant toi, et je n'ai fait que l'hypokhâgne. Ma spécialité, c'était les lettres anciennes (et ça me manque, c'est horrible ! Surtout le latin, j'adore ça) J'ai obtenu mon passage en khâgne mais j'ai laissé tomber, je n'avais pas le niveau pour trouver un métier intéressant dans cette voie, alors je suis partie en droit, je viens de finir mon master 1. Et à l'époque, je détestais l'anglais ! Mon prof en prépa était l'une des pires enflures que j'ai croisées dans ma vie, il m'a fallu un an avant de revenir un peu à l'anglais avec des séries, puis encore deux ans avant de réessayer de lire en anglais, et maintenant j'essaie de le faire de plus en plus.

    Zweig, c'est Jamestine qui m'a sacrément donné envie d'enfin m'y plonger ! J'ai commencé avec "Marie Stuart" quand je suis allée en Ecosse, excellent pour se mettre dans l'ambiance et j'ai adoré le livre (j'aime beaucoup les biographies, j'en ai plein ma bibliothèque et ma wish-list). Le prochaine que je lirai sera sûrement "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" ^^

    Balzac j'aime bien, mais c'est l'un de ceux que j'aime le moins parmi les classiques du XIXème. J'ai commencé avec La Duchesse de Langeais et Le Chef-d'oeuvre inconnu que j'ai apprécié sans plus, et plus tard j'ai voulu lire La Peau de chagrin et là je me suis sacrément ennuyée... Mais j'en relirai, je n'abandonnerai sûrement pas !

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    1. Mais de rien =) je n'ai eu le temps de parcourir que les 10 premières pages de ton blog, mais je reviendrai bientôt (en ayant vu tous les films dont tu parlais dans tes articles !).
      Les vacances, rien de mieux :p OK oui effectivement, on a un ou deux ans d'écart ^^ ça fait plaisir de voir quelqu'un qui garde de la nostalgie pour les langues anciennes, c'est tellement rare ! Bon, personnellement je n'ai pas fait de grec, mais le latin me manque un peu, j'essaierai d'en prendre des cours l'an prochain histoire de ne pas trop perdre. C'est toujours intéressant de faire un an dans un système pluridisciplinaire comme la prépa, même quand on va en droit après =) et c'est clair que si on n'a pas envie de faire de la recherche, la prépa c'est pas trop ça... ^_^ moi je veux devenir prof donc forcément ça collait bien ! :p ahhh l'anglais, ça peut être atroce quand on a un mauvais professeur u_u enfin en tout cas je suis contente de voir que ça ne t'en a pas dégoûtée à long terme et que tu renoues avec l'anglais.

      Moi aussi c'est Jamestine qui m'a donné envie de me mettre à Zweig (ma parole, c'est un traquenard pour toute la blogo !). Tu es allée en Ecosse *___* une de mes destinations rêvées !

      Tout le monde ne peut pas adorer Balzac =) mais j'admire ta ténacité ! Un jour ou l'autre tu en trouveras bien un que tu aimeras, j'espère seulement pour toi que tu n'auras pas à lire toute la Comédie Humaine avant d'en trouver un qui te plaise XD

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  5. Je me souviens que c'est le deuxième texte de l'auteur que j'ai lu et qu'il a complètement balayé mon esprit (enfin ça ne se dit pas en français, mais tu vois). Le jouer d'échec m'a tellement plu, et ça m'a refait la même chose en l'écoutant en livre audio l'autre jour.
    A l'époque je n'avais aucune référence culturelle évolué auquel le comparer (Vingt-quatre heures), ce n'est que plus tard que j'ai lu Le joueur de Dostoïevski ; du coup la description du monde du jeu m'a plu, et si j'ai lu Balzac, c'est seulement Le colonel Chabert qui m'a beaucoup plu.

    Pour les répétitions, j'ai lu un article l'autre jour qui en parlait, et qui expliquait combien il était difficile de traduire Zweig à cause de cela : http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20130416.OBS8145/pourquoi-stefan-zweig-est-il-l-ecrivain-etranger-le-plus-lu-en-france.html

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    1. Jamais lu Le Joueur de Dostoïevski (seulement Crime et châtiment, un peu comme tout le monde), mais il est dans ma liste ^^. Bel article en tout cas, qui cerne bien le caractère de l'écriture de Zweig (pour ce que j'en ai perçu au travers d'une lecture en tout cas), une littérature un peu transversale, à mi-chemin entre le roman de gare et la littérature dite plus "noble", et au seuil de plusieurs publics. Et effectivement on comprend que ce soit difficile de le traduire, avec ce côté "négligé".

      PS : à la fin, c'est pas un coup de coude, c'est carrément un coup de fusil contre Marc Levy ! J'ai bien ri.

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  6. On m'a offert ce livre il y a quelques années, mais je ne l'ai jamais lu, faute d'intérêt. En revanche, ma soeur l'a lu et l'a beaucoup aimé. Ton article me donne sérieusement envie de m'y mettre à mon tour !
    En revanche, Balzac, jamais tenté... Une amie m'a conseillé "La peau de chagrin"...
    Ah, et honte à moi ! mais je n'ai jamais lu non plus "Madame Bovary". En revanche, j'ai lu "Salammbô" (une épreuve douloureuse pour les 150 premières pages...).

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  7. Ce livre est vraiment très bien et se lit vite et sans difficulté =)
    On m'a dit beaucoup de bien de Salammbô, je compte m'y mettre prochainement. Personnellement j'ai adoré L'éducation sentimentale que je te recommande (un peu difficile d'entrer dedans aussi, sur les 500 pages, les 50-100 premières sont un peu lentes à dépasser, mais bon c'est comme ça pour pas mal de classiques et un lecteur aguerri en vient à bout sans peine).

    Pour Balzac, je te réfère à la réponse détaillée que j'ai faite au premier commentaire de Jamestine xD. Je ne conseillerais pas La Peau de Chagrin à un lecteur qui n'a encore jamais fait l'expérience de Balzac, il y a d'autres volumes qui se lisent plus facilement =)

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«Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire»
Maurice Blanchot

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