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mardi 14 mai 2013

Chronique de Le Songe d'une nuit d'été, Shakespeare


Résumé aussi cohérent et anti-spoilers que possible :

  Le Songe d'une nuit d'été se déroule sur plusieurs plans : dans la Grèce antique, deux jeunes gens, Lysandre et Demetrius, sont épris d'Hermia. Cette dernière aime Lysandre, mais son père, Egée, préfère Demetrius tout autre mariage. Il amène donc sa fille devant le roi, Thésée, pour faire valoir le droit du père sur ses enfants. Si Hermia n'épouse pas Demetrius, elle a le choix entre le couvent et la mort. Parallèlement, Helena, amie d'Hermia, est amoureuse de Demetrius, qui l'a autrefois courtisée mais qui l'a oubliée au profit d'Hermia, et la rejette. Un soir, Hermia et Lysandre s'enfuient par les bois pour aller se marier dans une autre cité. Mais Helena, dans le secret, prévient Demetrius afin d'avoir ses faveurs. S'en suit un cache-cache impromptu dans les bois.
  Cependant, le bois est le lieu de vie d'Obéron et de Titania, respectivement roi et reine des fées. Ces dernières se mêlent des amours des quatre jeunes gens, et essaient d'arranger les choses avec des philtres d'amour, mais sèment plutôt la pagaille...
  Toujours en même temps, une bande de travailleurs manuels décide de monter une pièce de théâtre tragique pour le mariage du roi Thésée et d'Hippolyta, reine des Amazones. Ils répètent leur pièce grandiloquente aux allures bouffonnes dans les bois, et le plus rustre d'entre tous, Nick Bottom, va se retrouver la proie des plaisanteries des fées... que de péripéties, mélanges et quiproquos en perspective !


Comme vous pouvez le voir, j'ai eu un peu de mal à résumer ce livre (impossible de trouver un bon ready-made). C'est qu'il présente une structure complexe, différente des autres pièces de Shakespeare que j'ai lues (Hamlet, King Lear, Othello, Macbeth, Romeo and Juliet, et The taming of the shrew). En effet on suit quatre plans différents :
- Les préparations au mariage d'Hippolyta et de Thésée
- Les répétitions de la bande de rustres pour la tragédie qu'ils vont jouer à la fin
- Les péripéties avec le quatuor amoureux Lysandre-Hermia / Demetrius-Helena
- Les querelles entre le roi et la reine des fées, Obéron et Titania, et leurs instigations pour se mêler des amours des jeunes gens

  Par conséquent, peu de personnages sont développés, contrairement à d'habitude avec les pièces de Shakespeare. Il n'y a que deux véritables monologues : un d'Helena (figure de l'amour sans retour) et un de Puck (fée mâle au service d'Obéron, très fripon et malicieux), et il ne font à peu près qu'une page chacun. On est donc loin du monologue de Hamlet.

Titania et Bottom, Henry Fuseli

  En raison de cela, l'accent est porté sur le méli-mélo d'histoires et la succession permanente de situations plus loufoques les unes que les autres. Personne ne meurt à la fin, il n'y a pas de tragique à proprement parler. je n'irais pas jusqu'à dire que c'est une pièce comique par opposition à d'autres pièces plus tragique, car nos amis les Anglais n'ont pas la même manière de faire les choses que nous les Français : on n'a pas les comédies et les tragédies séparées par une ligne bien droite, c'est toujours un mélange des deux. L'un des passages les plus drôles d'Hamlet, c'est Hamlet au cimetière ! Et A Midsummer Night's Dream a ses moments pseudo-tragiques également, avec le ton élégiaque d'Helena, par exemple (et puis il y a bien une menace de mort qui pèse sur Hermia !).


Le Sommeil de Titania, Richard Dadd
  Avant de lire cette pièce, l'image que j'en avais était celle d'un grand carnaval : les fées, leurs tours de passe-passe... cette image a été confirmée par la lecture, mais l'histoire porte également beaucoup sur le quatuor amoureux qui, lui, m'a un peu ennuyée. Mais même si c'est lui qui prend le plus de place dans la pièce (quoique, le cinquième acte dans sa quasi-intégralité est réservé à la représentation grotesque des rustres), à mon sens, ce quatuor est ce qu'il y a de moins important dedans ; c'était juste un prétexte pour faire passer la pièce, et faire en sorte que tout le monde soit diverti (n'oublions pas que le théâtre de Shakespeare était avant tout destiné au peuple, contrairement au théâtre de nos Corneille et Racine qui était destiné à la Cour). Il y a beaucoup de passages savoureux, comme Titania qui s'éveille et qui tombe amoureuse de la première chose qu'elle voit à cause du philtre préparé par Obéron pour se venger d'une faveur qu'elle lui a déniée... or la première chose qu'elle voit n'est autre que Nick Bottom (le plus idiot et orgueilleux de la bande de rustres), avec une tête d'âne que Puck a placée sur lui ! Fous rires garantis.

Je connaissais aussi beaucoup Le Songe d'une Nuit d'été par les tableaux que j'en ai vu dans les musées... j'en profite donc pour vous mettre ici mes deux tableaux préférés de cette pièce, dont Titania et Bottom de Henry Fuseli que j'ai eu le plaisir de voir au Tate à Londres (le Tate classic, pas le modern), et Le Sommeil de Titania de Richard Dadd qui est avec les peintures anglaises au Louvre. Enjoy !

J'en profite également pour dire aux anglicistes (déclarés ou non) que j'ai lu cette pièce en édition bilingue, et qu'en fin de compte j'ai à peine jeté un oeil aux pages en français ! L'anglais est très accessible, à condition de s'être déjà un peu familiarisé avec Shakespeare. Contrairement à ce que voudraient nous faire croire tous ceux qui veulent nous ôter le plaisir de le lire en langue originale... Cheers.

6 commentaires:

  1. Comment tu fais pour me donner envie de lire une pièce que je n'arrivais pas à lire il y a deux ans ? xD
    Je l'avais commencé en 2011 et j'étais restée bloquée, pourquoi ? Je n'en sais rien, je sentais que ça ne passait pas, que ça ne me séduisait pas, et puis, je ne me voyais pas bâcler la lecture d'un Shakespeare, je préférais attendre. Et toi, t'arrives avec ta chronique, tu balances des paragraphes intéressants et BAM! tu donnes envie de lire la pièce ! *s'incline*
    Plus sérieusement, j'ai eu une prof d'anglais qui associait pas mal cette pièce à Endgame de Beckett. Je reste encore perplexe mais peut-être vas-tu m'éblouir sur la question ! Parce qu'entre l'absurde du XXème et le théâtre de Shakespeare, je cherche la transition. En étant sûre qu'il y en a une (ça ne me semble pas absurde, sans faire un jeu de mot pourri XD). Après, elle parlait surtout de Puck.
    Bref, j'ai envie de lire du théâtre depuis ce weekend, donc si ça se trouve, je vais redonner une chance à Shakespeare (comment je fais pour ne pas aimer?! je ne me comprends pas...).

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    1. Hoho, je ne me connaissais pas un tel pouvoir de persuasion ! Mais tu m'en vois absolument ravie.
      Honnêtement, je comprends pourquoi tu as pu rester bloquée. Moi-même, pendant les premières scènes, j'étais un peu déçue et je me disais : "Je ne comprends pas, cette pièce est censée être ultra originale, féérique, et totalement farfelue ; pourquoi est-ce que je vois un triangle amoureux bizarre et une autre fille qui s'en mêle ?". Comme je l'ai dit dans mon article, le quatuor amoureux m'a laissée sans passion. Je pense qu'il faut plutôt interpréter les personnages des quatre jeunes Athéniens comme des marionnettes avec lesquelles les fées jouent. Et en effet, l'intérêt de la pièce réside dans la représentation et la théâtralité (scène des amours montée par les fées, scène de la tragédie montée par les rustres). Bref, à partir du moment où les fées interviennent, c'est beaucoup plus captivant.

      Shakespeare est toujours une bonne idée :p tu n'en as lu absolument aucune de lui ? Je peux te conseiller ! Mes préférées sont sans doute King Lear et Hamlet.

      Pour le lien avec Beckett... eh bien, ce qu'il faut avoir toujours à l'esprit quand on lit ou qu'on voit du Beckett représenté (et a fortiori quand on le joue), c'est que les personnages de Beckett sont des clowns. Des pitres. Parfois même des marionnettes. Parfois ils sont déshumanisés, ce sont des poupées désarticulées ; d'autres fois ils sont sublimes. Et ils sont toujours dans l'entre-deux. On dit que Beckett, c'est de l'absurde ; c'est oublier l'essentiel, c'est-à-dire que Beckett, tout comme Shakespeare, c'est du tragi-comique. Impossible de trancher, les deux se mêlent. Les passages les plus touchants sont également les passages les plus ridicules, selon l'angle de vue qu'on prend. Ce n'est pas pour rien que j'hésite entre Shakespeare et Beckett pour mon mémoire l'an prochain ! (d'ailleurs, rendez-vous avec mon directeur de recherche demain !)

      Voilà, j'espère que ça répond à ta question ^_^ (je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'étrange sentiment que je viens de lancer ce qui promet d'être une énorme discussion littéraire comme on les fait si bien... huhuhu)

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  2. Well, je me rends compte que je n'ai aucun souvenir d'avoir lu cette pièce >< ( en même temps c'était pendant le collège, on me pardonnera xD ) C'est probablement pour la même raison qu'elle reste celle que j'aime le moins ! Mais ton article m'a été très utile ( ne serait que pour éclaircir mes souvenirs :p ). Ta petite référence artistique est aussi très sympathique ^_^. Pour ce qui est de lire Shakespeare en VO, je ne me suis pas assez familiarisé avec son écriture pour tenter l'aventure. Un jour sans aucun doute !
    Bisous n_n

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  3. Ce que j'aime avec ton blog, c'est qu'il me rappelle de très bons souvenirs : cet article me ramène bien six ou sept ans en arrière, quand j'interprétais Obéron avec ma troupe de théâtre.
    De Shakespeare, je ne connaissais que "Romeo & Juliet". Un jour, je me mettrais à lire Hamlet...
    J'ai délaissé le théâtre depuis bien longtemps, donc ma culture sur ce sujet (en dépit de mes 8 ans de théâtre...) laisse un peu à désirer. Mais je voue quand même un amour inconditionnel à Racine (découvert en 5e avec "Andromaque", pièce que je connais encore aujourd'hui quasi par coeur !).

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    1. Je ne savais pas que tu avais fait tant d'années de théâtre, c'est super. Tu jouais donc le rôle d'Obéron ? Il faut dire que les rôles féminins de cette pièce ne présentent pas énormément de profondeur... si je devais jouer un rôle, je pense que celui de Puck m'attirerait le plus, mais forcément, Puck, c'est en quelque sorte la part du roi dans cette pièce ;)

      Andromaque, ma préférée de Racine avec Phèdre. J'ai du mal à trancher. Mais ça se joue entre ces deux-là, c'est sûr.

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    2. Oui, huit ans de théâtre. C'était ma passion. Si j'avais pu, je serais devenue comédienne et ne vivrais que de cette passion-là, mais le hasard en a décidé autrement. Mais je pense que je suis redevenue trop timide pour me lancer à nouveau dedans. Un jour peut-être...
      Effectivement, les rôles féminins de cette pièce m'ont laissée de marbre. Un peu sceptique au début, j'ai fini par me plaire dans le rôle d'Obéron, qui interagit pas mal avec Puck, justement (sans doute le meilleur personnage de l'histoire) ! Donc je comprends bien que c'est ce rôle-là qui t'attirerait le plus ;)
      J'ai moyennement aimé Phèdre. Mais Andromaque reste ma pièce favorite de Racine ! Mon livre est tout déchiré, écorné, stabiloté, mais je ne m'en séparerais pour rien au monde !

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«Il faut tout dire. La première des libertés est la liberté de tout dire»
Maurice Blanchot

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